Merci pour vos étoiles!
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« Comment vous vous appelez ? Nathalie ? Comment déjà ? »

Il est midi, Jeannette est descendue pour le repas. Elle est habillée, alerte. Paul, son époux, est tout affairé. Il ajoute une assiette pour l’amie de sa fille qui voudrait écrire sur la maladie d’Alzheimer. Jeannette s’assoit, confiante, sereine, parmi ces visages inconnus, au côté de Paul, son seul et unique repère…

Paul est toujours debout, il orchestre le quotidien de cette maison avec générosité et fermeté. Jeannette nous regarde, tour à tour, de découverte en découverte. Les visages de sa fille et de trois de ses petites filles lui sont également inconnus. Elle veut donner du taboulé à la petite dernière qui n’aime pas ça, ce qu’elle aura déjà oublié quand elle lui en proposera à nouveau.

« Vous savez, Jeannette est elle-même telle que vous la voyez en ce moment. C’est à moi de m’ajuster à ce qu’elle est. Elle n’en est plus capable. Pourquoi le lui demander alors? Ce serait vain et épuisant. Je suis dans l’acceptation de tout. Une fois par semaine, elle descend en chemise de nuit à 14h. Je l’attends, ce n’est pas grave… », confie son mari avec une profonde tendresse.

Paul a 87 ans, Jeannette 7 de moins. Elle souffre de la maladie d’Alzheimer depuis presque 15 ans.

Utiliser la force de l’autre

« La relation d’amour est là. On me dit qu’elle « baisse », je le vois bien moi-même mais là n’est plus le problème. C’est une fatalité, je n’y peux rien et je n’en ressens aucune amertume. Je vis au jour le jour et je fais du sur mesure. Ce qui compte, c’est le bénéfice qu’elle retire de chaque aménagement de notre vie à deux. Je vais faire une analogie avec un sport que j’aime beaucoup, le judo. Au judo, il faut utiliser la force de l’autre. Et bien moi, je m’appuie sur ce qu’elle peut encore faire à peu près seule. Nous sommes encore une équipe ! »

Au salon à présent, nous sommes assis autour d’elle. Entre deux somnolences, Colette revient vers nous, intriguée par mon cahier.

« Vous parlez de qui ? De moi ? Ah ça alors…» Elle nous sourit. « Et toi ? Je t’avais pas vu… Jeanne ? Ma fille ? Ah…»

Jeanne vient pourtant de Jeannette mais même ce clin d’œil familial n’aide plus Jeannette à retrouver sa petite Jeanne…

« Cela ne me fait plus mal qu’elle ne me reconnaisse plus. Je le vis bien parce que mon papa le vit bien et nous montre l’exemple. Je me souviens combien il insistait, quand maman s’accrochait encore mais se sentait déraper, pour que nous ne riions pas de toutes les énormités qu’elle pouvait dire. Il ne voulait pas qu’on la mette en état d’infériorité en lui posant des questions auxquelles de toute façon elle ne pouvait déjà plus répondre… Papa insistait pour qu’elle fasse ce qu’elle aime plutôt qu’entretenir une mémoire qui, de toute façon, meurt… »

Comprendre les enchaînements

Sa fille se souvient avec une gêne mêlée de tendresse d’un enterrement, celui de l’oncle André…

« Maman était triste que nous n’ayons pas vu André et que nous ne lui ayons pas dit au revoir. Cela a jeté un froid mais papa avec beaucoup de gentillesse lui a répondu devant tout le monde « mais si, on est justement venu ensemble pour lui dire au revoir ». J’avais été soufflée par cette répartie, si juste et appropriée et qui ne faisait pas perdre la face à maman… »

Le regard de Jeannette s’attarde sur des bibelots.

« Qui a fait ça ? » ; « C’est toi maman » ; « Non, c’est pas moi, pas possible »…

Personne n’insiste même s’ils savent combien elle y tenait.

« La mémoire, c’est étrange. Elle redécouvre chaque jour des pièces de la maison mais elle connaît chaque emplacement d’interrupteur. Dans sa tête, c’est un peu comme sur ces écrans d’ordinateur où défilent des photos sans ordre chronologique. Si ce ne sont pas vos photos, vous vous dites que cet enchaînement de paysages et de visages n’a aucun sens. Mais pour moi, tout a du sens. Je suis ancré avec elle sur un passé commun, je peux faire le lien, comprendre les enchaînements. Et toujours en raison de ce passé commun, nous n’avons plus besoin de mots entre nous. La maladie continue à évoluer, je ne suis pas maître du processus. Notre vie est calme car je dis non à présent aux déplacements sur plusieurs jours. C’est trop perturbant pour elle. Mais je l’emmène partout. Le regard des autres ne la gène plus et moi non plus, depuis longtemps ! Si certains regards s’attardent longuement alors qu’elle fait une chose qui lui échappe, et que je lis dans ces mêmes regards un jugement, je me dis que s’ils ne comprennent pas qu’elle ne le fait pas intentionnellement, c’est leur problème. »

La maison en hauteur

Elle me demande à nouveau qui je suis et ce que je fais avec mon petit cahier. Je lui réponds que j’écris des choses sur elle mais, évidemment, je ne sais quel écho ce « elle » a en elle…

« Je tiens grâce à ma philosophie de vie. J’ai reçu une formation religieuse avant de faire un choix de vie différent. Ces années là m’ont appris le détachement et la relativité. C’est un choix de vie, c’est mon choix de vie et je ne prétends pas l’imposer à mes enfants. Si je disparais avant elle, mes enfants devront probablement la placer dans une structure adaptée. C’est la vie. Mes enfants ont leur travail, leur famille, ils ne peuvent pas ajuster leur vie à son rythme et être 100% disponible à elle comme je le suis. Tout ce qui est pris maintenant est bon pour elle. D’ailleurs, ce qui pourrait me convaincre de trouver une structure, ce serait qu’elle se plaigne de moi…»

Elle est bien réveillée à présent. « On va faire un tour du jardin ». Elle me demande où j’habite. Je lui dis et là, l’espace d’un instant, je sais que ce nom (car elle y a eu une maison de vacances), lui est familier. Elle veut y aller. Elle me demande si la maison en hauteur existe toujours. Je sais de quelle maison elle parle puisque sa fille y habite aujourd’hui. Et puis… Elle me demande à nouveau où j’habite.

Au moment de mon départ, elle me dit « vous partez » d’une voix qui semble triste. Mais je sais qu’elle aura vite oublié mon nom, ma venue chez elle aujourd’hui et cet endroit où je retourne. Avec Paul, elle continue son chemin et l’un comme l’autre ne se posent pas de question sur cette certitude là.

Merci Paul, pour votre accueil, à votre table. Merci à Jeannette, qu’une plume d’oiseau dans l’herbe ravit, qu’un ciel bleu attire et qui apprivoise l’inconnu à chaque instant.

Article rédigé par Nathalie CUVELIER webinage

5 commentaires

  1. sophie DESMYTTERE 21 septembre 2012 à 16 h 44 min - Reply

    quelle sérénité ! on les envie de tant d’amour!!
    et bravo à la rédactrice de l’article, tout en délicatesse,

  2. butel laurence 21 septembre 2012 à 19 h 58 min - Reply

    superbe témoignage !!! beaucoup d émotion et d amour . je souhaite que Paul puisse continuer longtemps à s occuper de sa femme aussi bien qu il le fait maintenant et je suis sure que jeannette sait la chance qu elle a de l avoir à ses côtés . Merci à Nathalie de nous faire connaître des personnes aussi fantastiques au fil de ses témoignages.

  3. Myriam DAULMERIE 22 septembre 2012 à 16 h 15 min - Reply

    Quel couple magnifique.
    L’attention à l’autre et la tendresse sont omniprésentes dans ce témoignage.
    Merci Nathalie d’avoir témoigné de cet amour où raison et perte de raison cheminent sans heurt.

  4. Valérie 24 septembre 2012 à 8 h 08 min - Reply

    S’adapter à l’autre et s’abstenir du regard des autres : c’est un objectif si difficile à atteindre.
    Merci de nous montrer que l’on peut y arriver avec tant de sérénité. Bravo à Paul, Jeannette et leur famille.

  5. corinne 24 septembre 2012 à 17 h 03 min - Reply

    Paul est un si bel exemple…
    Merci de nous avoir fait partager avec délicatesse quelques instant de leur vie.

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