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“Je marche seul
Seul et anonyme”
Jean-Jacques Goldman

Où vont-ils nos malades ? Que font-ils dehors, si loin parfois ? Quel motif les pousse à déserter soudain, sans raison apparente, le lieu où s’enracine leur vie, à quitter leur conjoint, leurs enfants, leurs proches ? question récurrente. Elle obsède les aidants qui vivent là une des phases les plus difficiles de la maladie d’Alzheimer.

Nul ne peut oublier les heures d’attente interminables, les familles écartelées d’angoisse, hantées par les images répétitives de l’immuable scenario: les voies à grande vitesse, les carrefours à signalisation décalée, les zones de non-droit, les passages à niveau, les forêts, les cours d’eau, et cette lueur d’égarement dans le regard qui les rend si vulnérables.

Interrogée, la psychologue de notre groupe se veut rassurante. Nombreux sont les patients qui traversent toutes les phases de la maladie sans jamais se livrer à aucune escapade, dit-elle. Par contre, il est vrai que les hyperactifs sont les plus sujets aux fugues. Ils éprouvent le besoin d’agir, de se dépenser physiquement, c’est leur manière à eux de fuir leur mal.

Se vider la tête

Une mémoire d’avant le temps les habite. Ils savent, au profond de leur tête désorganisée, que la marche apaise, équilibre, ancre dans le tellurique, qu’avec le rythme des pas ils retrouvent un temps humain à la mesure de leur corps. D’après les nombreuses études menées à ce jour, la marche stimule l’hémisphère droit qui sécrète des endorphines, les deux hémisphères cérébraux s’équilibrent, la respiration se modifie, l’agitation mentale s’apaise, la souffrance s’alchimise. Pour qui marche en solitaire, le silence parachève ce travail. L’expression populaire « marcher pour se vider la tête » prend ici tout son sens. Pas à pas, le marcheur ouvre l’espace devant lui, trace son chemin. Il avance, il vit, il se sait à sa place dans le monde. L’énergie de la terre est si puissante que l’étroite surface de la plante des pieds lui suffit pour se recharger. Il y puise une force qui le tient debout, comme elle tient debout les tribus nomades aux marches épuisantes et aux nuits brèves et inquiètes.

Marcheur du toit du monde

Les marcheurs du toit du monde

On ne peut s’empêcher d’établir une corrélation entre les « Alzheimer » dans leur phase ambulatoire et les marcheurs du Toit du Monde. Effleurant à peine le sol, ils parcourent des centaines de kilomètres à une allure stupéfiante sur des pentes mortelles, dans les paysages lunaires des sommets himalayens. Ils vont ainsi sans trêve, sans dormir, boire ni manger. Ils s’y sont préparés par une ascèse rigoureuse, en réclusion durant trois ans, trois mois, trois semaines et trois jours. Ainsi en témoigne Govinda dans « Les chemins des Nuages Blancs » :
« je me rendis compte qu’une force étrange avait pris possession de moi, une conscience que ne guidaient ni les yeux, ni le cerveau » et il ajoute que ses membres « possédaient une science intérieure qui leur était propre ».
C’est bien de cela dont il s’agit chez nos malades. Dans la marche soutenue, au fil des heures, le mouvement répétitif des pas, l’hyperventilation, le silence, agissent comme une substance psychotrope et induisent chez l’homme un état de conscience modifié. Comme porté par l’air, en pilotage automatique, coupé de la source de ses souffrances, habité par la sensation de son appartenance à l’univers, dans un bien-être primitif il se fond dans la trame du monde, le cœur fragile de la vie.

C’est la raison pour laquelle certains établissements réservés aux malades d’Alzheimer se construisent autour d’un couloir circulaire où les patients peuvent marcher nuit et jour, des heures durant, à la fois déterminés et apaisés, plongés dans les dimensions les plus universelles de leur être.
Si la démarche du « voyageur en transe du Tibet » est le résultat d’un travail approfondi sur lui-même, celle du patient est spontanée mais un point commun les relie : l’état d’hyper lucidité que cette « conscience modifiée » induit en eux.
Elle leur permet souvent de traverser dans une « bienheureuse insécurité » de jour comme de nuit, les quartiers sensibles, les zones de non-droit, les lieux à haut risque.

lire la seconde partie de l’errance
Récit écrit par Hélène Follio

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Un commentaire

  1. CHERICONI 14 juin 2015 à 11 h 41 min - Reply

    Je m’interroge sur l’absence d’un proche, d’un aidant, au moment du “départ” du malade ! Avec la fréquence (si j’ai bien lu) de ces “départs”…il y a pour moi “non assistance à personne en danger” ! J’aime beaucoup la poésie et les poètes, mais tout de même, un train ne fait pas de différence entre un “errant” malade et un quidam inconséquent ou suicidaire !

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