Directrice générale de Natixis Assurances, mécène d’Aidant attitude, Nathalie Broutèle a bien voulu répondre à nos questions sur la dépendance et le cinquième risque.
Vous avez encore vos deux parents ; comment percevez vous la possibilité d’entrée en dépendance de vos parents ? Pour reprendre le titre du dernier livre de Marie de Hennezel « qu’allons nous faire de vous ?», vous, qu’allez-vous faire de vos parents ?
Le jour où nous aurons à prendre une décision, mon frère et moi, ce ne sera pas simple !
Je suis préoccupée par les réactions de l’un et l’autre de mes parents.
Comment vont-ils supporter d’être aidant l’un de l’autre ? Je me pose des questions sur leurs réactions.
Peut-être aussi ai-je des préjugés par rapport à leurs attitudes ou réactions possibles ?
Ma mère a eu un cancer et a bénéficié de tout l’entourage de mon père. J’ai bien vu combien être aidant de ma mère empiétait sur la vie de mon père. Je suis admirative de son comportement. Et j’ai aussi vu ma mère adopter la même attitude plus récemment pour mon père. Souvent dans les situations difficiles, les gens se révèlent et s’adaptent.
Je pense que comme beaucoup d’enfants, mon frère et moi faisons probablement un déni par rapport à l’entrée éventuelle d’un de nos parents en maison de retraite médicalisée. Nous n’en avons jamais parlé. Cela dit nos parents sont encore jeunes !
Jusqu’où seriez-vous prête à aller pour aider vos parents en tant qu’aidante ?
Le problème se posera surtout en termes financier. Pour moi, le maintien à domicile serait à assurer en priorité. Je souhaiterais les aider à rester ensemble à domicile le plus longtemps possible dans des limites acceptables, et validées par des professionnels.
Je ne pourrais pas être tous les jours chez eux. Mais j’ai la chance qu’ils soient à une heure de train, j’assumerai un relai régulier afin d’être plus présente.
Comment décririez vous les rôles de l’État et des assureurs par rapport au cinquième risque ?
Ce risque ne peut être assuré seul par le privé ou l’État. Il faut un vrai partenariat public privé. Une refonte de l’APA semble inévitable.
Une société qui ne prend pas en compte ses séniors est une société du moyen âge.
Alzheimer fait peur; cette maladie peut durer longtemps. Les pathologies des maladies neurodégénératives s’inscrivent de plus en plus dans la durée. Personne n’est égal devant la fin de vie.
La véritable question pour les assureurs est la mutualisation de ce risque sur le plus grand nombre. C’est la condition indispensable si nous voulons la rendre accéssible en termes de prix.
L’assureur doit aussi pouvoir contrôler le coût et la qualité des prestations à verser en cas d’entrée en dépendance. Il faut laisser les assureurs s’organiser avec des prestataires de services et maîtriser les coûts, tout en maintenant un niveau de qualité exigent. Toute la difficulté réside dans le contrôle et la maîtrise du coût des prestations pour que les cotisations restent accessibles.
Être aidant et salarié d’entreprise est parfois très difficile voir impossible ? Comment voyez-vous le rôle de l’entreprise pour aider des collaborateurs qui se trouveraient dans cette situation difficile ? Quelles seraient les limites de cette aide ?
Cette Question est large…si l’on écoute certains collaborateurs, l’entreprise devrait apporter de l’aide dans toutes les circonstances. L’employeur ne peut se substituer à une aide sociale. Si ce dernier peut consentir des efforts pour faciliter la vie de chaque collaborateur, encore faut-il que ceux-ci expriment leurs difficultés ! Dans le cas de l’aidant, il ne se reconnaît pas toujours lui-même comme aidant, et ne souhaite pas forcément en parler.
Le rôle de l’employeur est de lister les dispositifs possibles et de les faire connaître aux collaborateurs. Le DIF dans le cadre du plan de formation dans les entreprises pourrait être utilisé pour proposer en catalogue des formations sur Alzheimer ou sur le bien vieillir.
La prévention et l’information, voilà une action à mettre en place par l’État !
La population rejette la vieillesse. S’occuper d’une personne âgée peux perturber la vie quotidienne, et parfois celle du conjoint. Ce rejet pourrait générer un vrai drame sous la forme d’une rupture intergénérationnelle. Notre société n’est plus structurée pour que nos parents vivent avec nous. L’allongement de la fin de vie constitue un vrai enjeu, pour les pouvoirs publics. Des dispositifs (pas uniquement financiers) pourraient être mis en place pour favoriser l’entraide intergénérationnelle à l’échelle nationale.
Comment évaluez-vous l’offre d’assurances dépendance présente sur le marché ? Quelles évolutions envisageriez-vous pour ces produits ?
Les produits dépendance sont encore un peu chers et pas suffisamment mutualisés.
Autonomis, le produit d’assurance dépendance de Natixis Assurances est un produit dont je suis fière. Dans un contexte de marché donné, et un aspect réglementaire donné, nous sommes allés aussi loin que nous pouvions le faire dans la conception de ce produit.
Natixis Assurances a également élaboré le site Aidautonomie, à destination des aidants, et réalisé du mécénat pour soutenir les actions bénévoles menées par Aidant attitude. Je pense que ce devrait être le rôle du gouvernement de soutenir des sites d’information préventive comme le vôtre.
Tant que les pouvoirs publics ne prendront pas la mesure de l’enjeu représenté par la dépendance pour notre société, tant qu’ils ne prendront pas de décisions, et ne définiront pas « le décor » dans lequel les assureurs vont pouvoir s’inscrire, il ne se passera rien ! Tout le monde y a tellement réfléchi, que ce soient les experts, ou les assureurs ! Les acteurs de l’assurance ne vont pas pouvoirs avancer à la fois sur le plan individuel et collectif tant que l’état ne fixera pas « le décor ».
J’ai vu à la télévision récemment une émission peu complaisante qui relatait la décision d’un couple de placer le mari en maison médicalisée, montrant les aspects parfois difficiles à accepter de ces maisons. Vous êtes enfermé entre 4 murs ; vos enfants ne viennent pas souvent vous rendre visite ; vous vivez au quotidien avec des personnes physiquement dégradées.
Nous devons avoir des politiques qui décident. Il manque le courage politique de prendre des décisions, il est vrai dans un contexte de déficits publics abyssaux. Je n’ai pas entendu beaucoup de propositions sur ce sujet dans le cadre de la campagne présidentielle.
Notre société doit prendre en compte les conséquences de l’allongement de la vie et surtout l’anticiper. Les jeunes seront en rupture avec leurs aînés si la situation devient insupportable sur le plan financier et qu’elle n’a pas été anticipée L’état doit faire un vrai choix de société. Un ami m’a confié récemment au cours d’une conversation sur ce sujet : « je pense que nos enfants nous en voudront beaucoup, et ils auront raison ! ».
Interview réalisée par Pierre DENIS
Les mécènes d’Aidant attitude
Les mécènes d’Aidant attitude contribuent au développement du fonds de dotation, à la fois par des actions de mécénat, mais aussi par la réalisation de projets communs pour les aidants. Sans eux Aidant attitude n’existerait pas, et ne pourrait pas mener ses actions d’information, soutien et réconfort aux aidants.
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