« Etre un aidant est une expérience difficile et riche. C’est sa singularité qui explique que les aidants sont rarement dans la plainte. » Serge Guérin* est sociologue, spécialiste des théories du care** et admiratif de les voir en action sur le terrain. « Vous rendez-vous compte que 18% des aidants aident une personne alors que rien ne les y oblige !»
Entretien et coup de chapeau aux aidants.
On parle de médecins qui n’ont plus le temps, d’urgences qui explosent, d’infirmières qui se sentent déconsidérées, d’hôpitaux qui dysfonctionnent… très peu des aidants. Pourquoi n’a-t-on pas encore mesuré leur contribution sociale ?
Notre politique de santé reste focalisée sur le geste technique et une vision très comptable. L’acte technique est survalorisé au détriment de l’innovation sociale et le corps médical a encore trop tendance à ne voir que la maladie à traiter. Le malade et son proche ne sont pas jugés légitimes dans cette démarche très médicalisée. Il me semble que le principe premier du soin, c’est la prévention, l’écoute, la présence et le dialogue. Notre politique de santé ne manque-t-elle pas d’imagination ? Les médecins veillent sur leur pré-carré et les aidants, dont la contribution est énorme, ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Sans doute que notre système de santé qui reste plutôt performant, n’a pas su prendre le virage de l’attention et de l’accompagnement.
On a oublié la dimension du care dans la pratique de la médecine ?
Le care, c’est une véritable révolution culturelle pour valoriser l’humain et mettre en avant le principe prévention. En plus, elle serait génératrice d’économies dans le long terme par une diminution de la consommation médicale et par la minoration de nombreuses maladies, en particulier chroniques. La maladie ne se limite pas à ses symptômes. Une vraie politique du care prend en compte la dimension sociale de la personne, ses conditions de vie, son entourage mais aussi son alimentation, sa relation à la maladie, son rapport à la vie, son projet… Dans cette optique les aidants sont au cœur du care. Ils contribuent à la démarche globale de soin.
Serait-il nécessaire d’avoir un statut de l’aidant ?
C’est un débat qui revient régulièrement. Pour autant, je ne suis pas sûr que ce soit une demande des aidants. D’ailleurs, qui est légitime pour porter la parole des aidants ? Il n’y a pas de collectif des aidants. Quand nous avons fait le baromètre BVA/Novartis sur les aidants, un besoin d’aide et de reconnaissance remontait mais pas la revendication d’un statut de l’aidant. D’ailleurs, un statut unique serait très réducteur et ne ferait pas justice à la diversité des situations de vie : l’âge moyen de l’aidant est de 64 ans, celui de l’aidé de 77 ans mais l’épouse de 78 ans au chevet de son conjoint malade 24h sur 24 et le quadra qui s’occupe régulièrement d’un parent en perte d’autonomie vivent deux situations de vie très différentes.
Que faut-il pour faire un bon aidant ?
Toutes les qualités qui font que sans eux notre système de santé serait dans un état catastrophique ! Les aidants développent un sens de l’attention à l’autre et une qualité d’écoute. Ils acquièrent aussi des savoirs faire et une réelle expertise. Mais ils ont cependant besoin d’être accompagnés. Autant un statut de l’aidant ne me semble pas être une priorité, autant la nécessité d’offrir des formations adaptées aux aidants assurées par des professionnels en est une. Je pense aussi au potentiel de formations entre aidants, entre pairs, ayant vécu des situations à peu près équivalentes. Certains souhaitent sortir au plus vite de leur rôle d’aidant mais d’autres ont besoin de transmettre leur expérience. Une expérience d’aidant est un épisode marquant dans une vie. Elle enrichie humainement. C’est tout de même une grande satisfaction de se dire qu’on peut être doublement utile, envers un proche puis envers un pair. Les centres d’accueil de jour pourraient être de véritables plateformes de rencontres et d’échanges. Un bon aidant doit aussi rester en bonne forme, d’où l’importance de suivre sa santé, par exemple en lui offrant un droit pour un bilan de santé gratuit chaque année (au lieu de tous les 5 ans). Il s’agit aussi de lui permettre de prendre du temps pour lui ; je préfère ce terme à celui de répit.
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Propos recueillis par Nathalie Cuvelier
* Dernier ouvrage « La nouvelle société des seniors »
** Issu du mouvement féministe américain, le care vient d’une réalité observée : les métiers et les actions de soin à l’autre sont peu valorisées, peu visibles et majoritairement réalisées par des femmes. Il s’agit donc de valoriser et mieux rémunérer celles et ceux qui font du care et affirmer que le soin et l’accompagnement de l’autre sont les valeurs qui permettent une société durable.
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Les mécènes d’Aidant attitude
Les mécènes d’Aidant attitude contribuent au développement du fonds de dotation, à la fois par des actions de mécénat, mais aussi par la réalisation de projets communs pour les aidants. Sans eux Aidant attitude n’existerait pas, et ne pourrait pas mener ses actions d’information, soutien et réconfort aux aidants.
Particulier : Vous pouvez déduire 66% de votre don dans la limite de 20% de votre revenu imposable.
Je veux d’abord vous féliciter pour cet exposé. En tant qu’ex-aidant de mon conjoint, et aidant d’autres aidants aujourd’hui, je suis tout à fait à l’aise sur chacune de vos réflexions ou suggestions. Pour vivre partie aux Etats-Unis et partie en France, je peux constater qu’il n’y a aucune réelle différence entre l’aidant « américain » et ‘aidant « français ». D’où quelques questions, en espérant qu’elle restent bien dans le cadre de votre domaine qu’est la sociologie et des messages que vous vouliez passer.
1) la première chose qui me frappe comme différence, c’est la dimension psychologique largement utilisée ici aux Etats-Unis pour aider l’aidant, alors que je ne vois pas cette même dimension ouvertement affichée ici en France. Parfois, il suffit d’un simple coaching psychologique pour aider un aidant à « faire le pas » et appeler une aide extérieure, qu’il s’agisse de l’aide d’amis ou des aides professionnelles.
2) la deuxième chose qui me frappe, c’est l’intégration systématique des forums entre aidants ici aux Etats-Unis sur les sites Internet destinés aux aidants, alors que ceci semble parfaitement étranger pour de nombreux sites français qui se disent pourtant destinés aux aidants. Comme vous le soulignez à juste titre, les aidants en difficulté savent que sur un forum ENTRE AIDANTS, ils seront écoutés, compris sans être jugés. Et pour d’autres aidants, pouvoir aider et apporter leur propre expérience et conseils fait partie de leur manière de gérer leur propre stress d’aidants.
3 ) le hasard fait que sur la page d’accueil votre interview est présenté juste à côté de l’expression en € de la contribution informelle des aidants. Cette contribution des aidants français serait de 164 milliards selon ce que dit le titre, mais il ne semble pas que ce soit une valorisation officielle encore ou communément admise. Ici aux Etats-Unis, ce chiffre de la contribution informelle est régulièrement publié depuis plus de 10 ans, la méthode est acceptée par tous, y compris le gouvernement fédéral, et personne ne rougit de savoir que la contribution des aidants familiaux est plusieurs fois le montant des aides gouvernementales prévues pour la dépendance ou l’handicap. Les associations d’aidants font un véritable lobbying pour obtenir, à partir de ce chiffre, des avantages cette fois-ci concrets. Leur réussite est certes mineure, mais le principe de diffusion de cette contribution informelle est le moyen d’exprimer cette reconnaissance des aidants, reconnaissance qui n’a rien à voir avec un statut d’aidant qui comme vous le dites avec justesse, n’est pas ce que demandent les aidants en priorité.
4) vous dites que la santé des aidants est bien l’enjeu majeur et je vous rejoins à nouveau tout à fait. L’évaluation des besoins d’aides aidants en auto-diagnostic sur les sites d’aidants se multiplient ici aux Etats-Unis et ceci me semble une bonne orientation car de nombreuses questions permettent d’évaluer le risque d’épuisement ou de dépression, et agir. Votre recommandation du bilan annuel me parait très bien vue. Aux Etats-Unis, nous avons l’habitude de dire qu’au-delà de 20 heures par semaine consacrées par un aidant à son proche, l’impact sur la santé de l’aidant se fait sentir, et le suivi est proposé tous les 3 mois pour ces aidants. Je ne sais pas si de telles études sur l’impact sur la santé et le seuil d’heures consacrées par semaine existent en France, mais je considère que si le chiffre est valable ici aussi, il est l’intérêt de suivre tout particulièrement les aidants qui font 20 heures et plus. Mon sentiment est que les aidants vont voir une augmentation régulière du nombre d’heures qu’ils auront à consacrer dans les années qui viennent, fautes des aides financières suffisantes qui ne suivront pas, faute des ressources propres des familles à payer les établissements d’accueil ou les aides professionnelles à domicile.
Merci pour cet article à la fois très bien écrit et qui met beaucoup de choses spécifiques aux aidants bien en avant. Je pense que dans cette société du care comme vous dites, chaque aidant a vite fait justement à cause de son propre rôle et de ses responsabilités, de se rendre compte si les professionnels en face de lui sont des gens à qui ils peuvent faire confiance ou pas. Ce qui est terrible c’est que c’est nous, les aidants, qui devont compenser les insuffisances des professionnels. Vous faites quoi quand la responsable de secteur de l’association d’aides à domicile vous explique qu’elle n’a plus personne à vous envoyer pour vous aider? Les centre d’accueil de jour pour permettre aux aidants d’échanger est une idée utile, mais nous sommes nombreux à ne pas pouvoir nous déplacer. Finalement, je suis mieux soutenue par les autres aidants que je rencontre virtuellement sur un forum, que par les assistantes sociales tout le temps débordées et pas toujours au top des renseignements à jour. J’aimerais avoir votre point de vue de sociologue sur la puissance de l’internet et des réseaux sociaux dans cette société du care vers laquelle on va tout droit avec l’impossibilité de l’état à continuer à financer ses aides financières.