“La mort reste un mystère. A nous médecin d’accepter qu’elle nous échappe car nous ne sommes pas tout puissant “. Le Docteur Lourme dirige une unité de soins palliatifs de 10 lits à Boulogne-sur-Mer. Il nous parle de sa manière d’être médecin, des malades, de leur entourage et du temps qui se vit différemment quand il est compté…
Quelle est, Docteur Lourme, votre définition des soins palliatifs ?
C’est prendre soin de la personne plutôt que de sa maladie, quand tous les autres médecins disent qu’il n’y a plus rien à faire. C’est soulager la douleur si la personne souffre et apporter du confort à la fin de vie. C’est une équipe mobilisée qui, en mettant tout en œuvre pour préserver la meilleure qualité de vie possible, accompagne le malade et sa famille pour construire, pendant une période de répit, une relation de confiance et permettre à la parole de se libérer. Paradoxalement, et ce n’est pas du cynisme, nous sommes là pour faire naître un projet de vie au seuil de la mort.
Un projet de vie ?
Oui. Nos patients ont encore du temps à vivre. Certains patients vont pouvoir repartir un peu chez eux, d’autres reviendront ici mais tous vont mourir. Une minute de vie ici, ce n’est pas une minute de votre vie… L’horloge du temps est celle de la fin de vie. Nous pouvons en construire des choses en quatre jours ! D’ailleurs, comment pourrions-nous tenir le coup si nous n’étions là que pour être des témoins. Certains médecins voudraient nous envoyer des patients pour mourir. Je refuse. Il nous faut un minimum de temps… Pour qu’une personne s’alimente à nouveau un peu et y prenne un peu de plaisir, pour envisager un retour à la maison, pour qu’une famille se retrouve…
Mais s’ils souffrent ?
La douleur doit être prise en charge partout, notamment par des équipes mobiles, et heureusement puisque nous n’avons que 10 lits. Le traitement de la douleur est un préalable à toute démarche d’accompagnement de fin de vie : personne ne peut mourir sereinement dans la douleur. Mais les soins palliatifs ne se réduisent pas au traitement de la douleur. Entre une personne de 70 ans qui n’a plus que quelques heures à vivre et dont la douleur est contenue et une dame de 90 ans, isolée, qui a des plaies et ne s’alimente plus, l’équipe va recevoir la personne à laquelle nous pourrons encore apporter un mieux en terme de fin de vie… La mort est difficile, il faut le dire dans notre société qui veut tant la mettre à distance, et notre rôle ici est d’accompagner la douleur mais aussi bien d’autres symptômes comme la souffrance psychologique et sociale.
Avez-vous peur de la mort ?
Faut-il avoir peur de la mort ? De la séparation ? La mort est inéluctable mais le plus dur à accepter, c’est peut- être la séparation. Tous les patients, croyants ou pas, en ont peur. Aujourd’hui, nous attendons avec l’équipe une jeune femme que nous connaissons. Elle est déjà venue mais, là, elle ne repartira peut-être pas. Il y a bien sûr une charge émotionnelle et la nier serait vain mais nous devons la mettre à bonne distance pour être dans notre rôle d’accompagnant. On nous demande souvent pourquoi nous travaillons ici. C’est de l’ordre de l’intime mais il n’y a pas de hasard quand on reste dans une unité de soins palliatifs. A 20 ans, j’aurais été incapable de faire ce que je fais à présent. Maintenant, est-ce que j’ai des réponses à mes questions sur la vie ? Non. Mais je vérifie chaque jour que l’isolement est mortel et que c’est dans la parole et l’échange que les choses se construisent et que la séparation s’envisage…
Quelles relations construisez-vous avec vos patients et leur famille ?
Des relations de franchise… La maladie a souvent entretenu un mutisme familial. Le malade et la famille veulent se protéger l’un l’autre et choisissent d’éviter le sujet de la maladie. L’une des facettes de mon travail consiste à m’asseoir avec les uns et les autres et prendre le temps, ce temps si précieux. Ces personnes viennent de services où le médecin n’osait parfois plus rentrer dans la chambre puisque les espoirs de guérison sont nuls. Dans l’ensemble, avec la force de toute une équipe pluridisciplinaire, on arrive à recréer du lien, briser des silences, provoquer de petites étincelles, apaiser…
Vous semblez éviter de parler de souffrance…
Non bien sûr. La mort est une acceptation dans la souffrance. Mais l’humain est capable de s’adapter à tout si on lui laisse du temps.
Vous m’avez confié que les lycéens que vous rencontrez sont à 90% en faveur de l’euthanasie ?
Oui. Mais ces jeunes, et l’ensemble de la population, répondent à une question qui a été mal posée. On leur a dit « Souhaitez-vous une mort dans la dignité ? » Tout le monde est tenté de répondre oui à une telle question. Mais la vraie question est « qu’est-ce que la dignité » ? Est-ce que la dignité se résume à ne pas être incontinent ou à ne pas baver en mangeant ? Est-ce que la notion de dignité s’arrête quand le corps souffre ? Où allons-nous ? Quelles portes ouvrons-nous ? La dignité n’est-elle pas inhérente à l’être humain ? Bien sûr, il y a des situations de vie très compliquées avec des malades qui s’enferment et deviennent inaccessibles. Mais faut-il supprimer cette souffrance inaccessible et insupportable pour la famille en « supprimant » le malade ? Les cas les plus lourds sont médiatisés. Mais, dans l’exercice de mon métier, je vois des personnes qui s’accrochent à la vie.
Comment pouvez-vous, dans le respect de la loi, apporter du confort à des situations de vie sans répit ?
Je peux, après discussion avec le malade s’il est encore conscient, la famille et notamment la personne de confiance et l’ensemble de l’équipe, utiliser en connaissance de cause des produits pour faire face à une situation d’inconfort insupportable tout en sachant que des effets indésirables vont survenir. Dans le cadre de la loi, je ne vais pas laisser une personne s’étouffer. Pour la soulager, je peux lui proposer de l’endormir au risque qu’elle ne se réveille pas. L’intention n’est pas de donner la mort mais de soulager au risque d’entraîner la mort. Ce n’est pas une petite nuance.
Vous connaissez tout de la mort ?
Non. Elle reste un grand mystère. Le médecin doit accepter que la mort lui échappe. La mort est intime, elle appartient au malade et c’est à lui de décider du moment. Nous le vérifions chaque jour. Notre société de la technicité et de l’immédiateté veut « régler » ce problème dans un temps acceptable. Plus cyniquement, il existe des enjeux économiques. La fin de vie coûte cher à la société, c’est vrai. Et, pourtant, elle n’a pas de prix…
Qui disait que le degré de civilisation d’une société se jugeait à la manière dont elle traite les plus fragiles…
Propos recueillis par Nathalie Cuvelier, Webinage
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Cet article m’a interpelé par son authenticité , sa vérité ; je trouve ce médecin très réaliste sur la façon dont il parle des soins palliatifs et j’ai surtout aimé ceci : “l’intention n’est pas de donner la mort mais de soulager au risque d’entrainer la mort … “si on entend cela , on comprendra mieux la position du corps médical face à l’euthanasie
Cet article m’a interpelé par son authenticité , sa vérité ; je trouve ce médecin très réaliste sur la façon dont il parle des soins palliatifs et j’ai surtout aimé ceci : “l’intention n’est pas de donner la mort mais de soulager au risque d’entrainer la mort … “si on entend cela , on comprendra mieux la position du corps médical face à l’euthanasie
j’aime lire ce texte en pensant qu’il reste encore beaucoup d’humanisme sur cette pauvre terre et surtout, NE PAS LAISSER SOUFFRIR, comme l’a très bien dit ce docteur :”l’intention n’est pas de ddonner la mort mais de soulager au risque d’entraîner la mort”.
Une suplique qui me restera gravée à vie: “René, je ne savais pas que c’était si dur de mourrir”
Cette phrase me revient très souvent et je salue le mérite de ces médecins qui soulage ces patient en fin de vie.
Qu’ils n’abandonnent pas même si certain ne comprennent pas.
Merci à tout ce personnel qui soulagent nos proches quand nous ne savons plus le faire.
Très grande considération.
R. Duchatelet
Quel beau témoignage que celui de ce médecin qui proclame haut et fort que nous avons tous rendez-vous avec la mort, un mystère qui appartient à chacun et que nul autre que le malade ne peut s’ approprier.
Nous sommes sur terre pour expérimenter ce passage que nous ne pouvons régler par la loi, au nom de notre bonne conscience de bien-portant ou d’ enjeux économiques non avoués.
Savoir donner du temps au temps et accompagner celui qui est en fin de vie, redonner du lien á ceux qui sont seuls face à cet immense défi et faire acte de présence, simplement, c’ est cela pour moi la dignité , ne pas abandonner le malade qui, jusqu’ au dernier souffle, peut se sentir aimé pour ce qui’ il lui reste à vivre. Personne ne peut le décider à sa place, mais tout le monde se doit d’ être présent à ses côtés le moment venu. Tel est pour moi le sens de l’ egalité : soyez présent et sachez tenir la main du plus faible, sans lui tourner le dos.
Kristina.
bravo et merci ce médecin a très bien défini la question ne pas donner la mort mais d’abréger ses souffrance ce qui peut entrainer la mort je suis tout a fait d’accord pourquoi laisser souffrir quelqu’un le laisser mourir sans souffrance devrait être un droit pour tout le monde
là mort est une porte de sortie, pour supprimer là souffrance,mais nous n’avons pas le pouvoir de la donner vivre avec là chimio sachant qu’il n’y a pas de retour vers une vie paisible et heureuse