Quelques mois après le décès de sa compagne, Hervé Poens perd brutalement le plus jeune de ses fils, Nicolas, qui met fin à ses jours à l’âge de 29 ans. Après ce drame, sa vie s’écroule, ravagée par la douleur et la culpabilité. Il doit sa survie à une longue marche, un Tro-Breiz de 1200 kms à travers la Bretagne, jalonnée de multiples rencontres qui l’ont reconstruit. Au fil des pas, il consigne les émotions et les réflexions que lui inspire ce voyage dans un ouvrage autoédité intitulé « Tro-Breiz thérapie ». Un témoignage émouvant et porteur d’espoir pour toutes les personnes endeuillées.
Propos recueillis par Sandrine Youknovski
Aidant Attitude : Dans quelles circonstances avez-vous pris la route ?
Hervé Poens : L’idée d’une longue randonnée solitaire a gagné mon esprit un peu avant le premier anniversaire du décès de mon fils. Plus la date redoutée approchait et plus ce projet s’imposait à moi. Rester chez moi, à Locquirec, signifiait de vivre cette période comme un intense moment de souffrance et d’errance. Ainsi, plutôt que d’attendre passivement l’arrivée fatale de ce jour-là, j’ai préféré prendre la route… Pour l’avoir souvent ressenti durant des mois d’errements, je savais que la marche constitue un extraordinaire remède contre les tourments. En effet, marcher c’est avancer ! J’ai donc décidé de partir seul pour un périple de 48 jours autour de la Bretagne et ai quitté ma maison le 1er septembre 2014 pour ce Tro-Breiz sur les pas des pèlerins du temps jadis…
Aidant Attitude: Pourquoi avez-vous choisi cet itinéraire ? Que représente-t-il ?
Hervé Poens : Tro, qui signifie tour et Breiz, la Bretagne qualifient le pèlerinage des Bretons et font partie de leur mémoire collective. Pour autant, personne ne connaît avec certitude l’origine de ce « Tour de Bretagne ». J’ai donc cherché à en savoir davantage et, d’après mes recherches, il semble que cette marche existe depuis le Moyen Âge. Au XIVe siècle, en effet, il était déjà question du « pèlerinage des Sept Saints » dans les actes du procès de canonisation de Saint Yves. Réhabilité dans les années 1990, le Tro-Breiz serait un des plus anciens pèlerinages de l’hexagone. Il invite les voyageurs à vénérer « les Sept Saints Fondateurs de la Bretagne » en leur évêché respectif : Tréguier pour Tugdual, Saint-Brieuc pour Brieuc, Saint-Malo pour Malo, Dol-de-Bretagne pour Samson, Vannes pour Patern, Quimper pour Corentin et enfin, Saint-Pol-de-Léon pour Paul Aurélien.
Carte du Tro-Breizh d’Hervé Poens
Aidant Attitude: Que vous a apporté la marche à pied ?
Hervé Poens : La beauté des paysages et des édifices découverts tout au long de mon périple et les visages des personnes qui m’ont accueilli me restent gravés. L’accomplissement de ce tour de Bretagne a constitué pour moi un inestimable cadeau, une aubaine incroyable que j’ai continué de savourer longuement. Cette randonnée, jalonnée de moments exceptionnels, m’a permis d’aller au plus profond de moi, d’effectuer un voyage intérieur dont je suis sorti grandi. Cela m’a également permis de réaliser deux projets : publier « Mes petits mots de bille », mon premier manuscrit rédigé juste après le suicide de mon fils et assumer la présidence de l’antenne départementale du Finistère Côtes-d’Armor de l’Association Jonathan Pierres Vivantes. Ce groupe de soutien m’a profondément apaisé. J’ai pu y extérioriser mes déchirements, exorciser ma colère, avouer ma culpabilité et laisser couler mes larmes sans aucune gêne. C’est pourquoi, renforcé par les belles rencontres effectuées au cours de ce pèlerinage, j’ai eu envie à mon tour de donner une partie de ce que j’avais reçu. Avant cette longue marche, je ne m’en sentais pas capable. Mais étape après étape, en ouvrant mon cœur et en acceptant de préciser les raisons réelles de ce périple, j’ai usé ma souffrance en mettant des mots sur elle. Je peux maintenant m’exprimer plus sereinement et grâce à cet apaisement retrouvé, j’ai la conviction de pouvoir, sans risque, accepter la responsabilité d’aider à mon tour.
Aidant Attitude: Aujourd’hui, comment allez-vous? Et demain, des projets ?
Hervé Poens : Les mois ont passé et les résolutions prises à la fin de ma marche se sont concrétisées. Depuis, je n’ai jamais cessé de m’exprimer sur le deuil d’un père et témoigner sur le chemin qui mène à l’apaisement est devenu une nécessité. J’ai également réalisé de belles rencontres, dont celle avec Olivier Caillebot, vidéaste passionné par l’Histoire de la Bretagne, qui, bouleversé par mon récit, a réalisé un DVD. Notre collaboration a donné naissance à un reportage de 80 minutes, intitulé Les chemins d’espérance et a débouché sur une belle amitié.
Trois ans après cette mémorable odyssée, je marche toujours, mais un peu moins. J’écris davantage, je témoigne à la demande, je lis beaucoup, et certaines de mes lectures ensoleillent mon quotidien. Parfois, il suffit d’un mot, d’une phrase pour que ma journée s’en trouve métamorphosée. Dans L’horizon à l’envers (Editions Robert Laffont – 2016), Marc Lévy écrit « Lequel de nous deux a dit que les blessures de la vie étaient ce qui laissait entrer de la lumière en nous ? ». Il s’agit en effet de cela : je pensais être en exil sur une terre de désolation et j’ignorais qu’un vent d’espérance me ressusciterait. Mais j’aime passionnément la vie, la vie qui se perpétue au-delà de soi-même. La vie, qui continue…
Tro-Breiz Thérapie
Paru en 2018, l’ouvrage est disponible sur commande sur le site Internet d’Hervé Poens. Vous pouvez également rencontrer l’auteur cet automne :
- le 11 novembre au salon du livre de Châteaulin (29) ;
- le 14 octobre, à celui de Plestin les Grèves (22).
- le vendredi 19 octobre à Saint-Brieuc sur l’invitation de l’association MISACO (Mission d’Accompagnement de Collectifs prévention de la Souffrance Psychique et du Suicide) ;
- le samedi 10 novembre à l’Espace Culturel du Centre Leclerc de Carhaix (29) ;
- le samedi 17 novembre à celui de Landerneau (29).
L’avis de l’expert :
Philippe Romon, psychanalyste.
Parce qu’elle met le corps en mouvement, la marche libère l’esprit. Il s’agit d’abord d’un mouvement vers soi : un moment de solitude, de recentrage. L’occasion de reprendre contact avec son corps, à travers les éléments que l’on affronte (le vent, la pluie, le soleil) à même la peau. Le corps s’exprime à nouveau d’une manière immédiatement compréhensible : les poumons se remplissent d’air frais, les muscles durcissent et quand les articulations sont douloureuses on sait pourquoi. Le soir, on ressent le soulagement à l’étape et le matin les douleurs de la reprise.
Mais la marche est aussi un mouvement vers les autres. Littéralement, marcher nous sort – d’abord de notre environnement quotidien, puisqu’à chaque instant, ou au moins à chaque étape, le cadre se modifie.
« Tout en nous recentrant, la marche nous sort de nous-mêmes »
Et comme en témoigne Hervé Poens dans sa belle expérience, le pèlerinage qu’il a entrepris – que chacun de nous peut entreprendre, à sa mesure, dans son lieu de prédilection, qu’il s’agisse de rejoindre Compostelle, de traverser les Alpes, les moors écossais, le désert des Tartares ou, comme lui, la lande bretonne– est aussi fait de rencontres. Tout en nous recentrant, la marche nous sort de nous-mêmes.
Ajoutons-lui une autre vertu : elle est à la portée de chacun, à tout âge – que vous ayez vingt ans ou quatre fois vingt ans, il y a quelque part dans le monde une marche à votre mesure, à vous de la définir ! Dans une civilisation dévorée par le virtuel, la marche est une pratique de très basse technologie : il suffit d’une paire de bonnes chaussures, de chaussettes confortables, d’un vêtement ample, et puis de mettre un pied devant l’autre, tout simplement.
Les grands philosophes ont été de grands marcheurs : Nietzsche, Kant, Montaigne… Freud lui-même a mené plus d’une thérapie en accompagnant ses patients sur les chemins des Alpes autrichiennes. La marche libère l’esprit, et la parole. La marche apaise l’angoisse et soulage la dépression.
Faites en l’expérience par vous-même : quel que soit le poids du bagage, du fardeau que vous portez sur le dos, marcher vous allégera.
Psychanalyste, Philippe Romon propose, outre des analyses classiques, des séances en « walk & talk » pratiquées dans le parc des Buttes Chaumont à Paris.
Contact : phromon@gmail.com et 06 84 82 85 80
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Mer ci pour votre témoignage …je vais prendre la route en juillet pour mêler mes larmes aux embruns bretons ou d ailleurs ..bonne route encore à vous.
Claire