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Docteur en psychologie et Directrice Générale de l’Agence des Médecines Complémentaires et Alternatives (A-MCA), Véronique Suissa évoque la nécessité d’encadrer les formations des praticiens pour rendre les pratiques plus sûres.

Aidant attitude : Quelles sont les différentes médecines complémentaires et alternatives que l’on peut répertorier aujourd’hui ?

Véronique Suissa : Il n’existe pas de définition/catégorisation officielle des Médecines Complémentaires et Alternatives (MCA). L’OMS en décompte plus de 400. Les MCA englobent des pratiques à la fois validées et adaptées comme des méthodes douteuses, voire dangereuses. Pour s’y retrouver, il faut avant tout distinguer d’une part, les médecines complémentaires, ce large spectre de pratiques non délimité (art thérapie, hypnose, ostéopathie, sophrologie…), et d’autre part, les soins officiels d’ordre non médicamenteux et relationnels, ce spectre délimité de pratiques étudiées/recommandées par Autorités (ex. Sport, socio esthétique…) ou validées par la Haute Autorité de Santé (ex. diététique, soutien psychologique, psychomotricité).

Aidant attitude : Comment savoir si une pratique est adaptée ou risquée ?

Véronique Suissa : ce n’est pas tant ni toujours « la pratique » qui est un point de référence mais plutôt un ensemble de critères associés à la pratique. Pour apporter des repères, l’A-MCA (Agence des médecines complémentaires et alternatives) s’appuie sur un ensemble de normes existantes et de critères de références tels que le statut de la formation, la réglementation, l’usage complémentaire ou alternatif, le niveau de risques et de dérives, la visée du soin. Ces éléments sont des points de repères permettant de classifier « une pratique » selon son niveau d’acceptation par la médecine. Pour faciliter la compréhension par le citoyen, trois couleurs déterminent le niveau de sécurité des pratiques : vertes (sécurisées), oranges (semi- sécurisées/risquées), et rouges (risquées). Par exemple, un sophrologue diplômé (RNCP, DU) ne visant pas à guérir l’usager qui y fait appel de façon complémentaire est une pratique « acceptée » (verte). Si sa formation n’est pas reconnue, mais qu’elle reste proposée sans visée de guérison et utilisée de façon complémentaire, la pratique devient « tolérée (orange). En revanche, si le sophrologue n’est pas diplômé, qu’il cherche à guérir l’usager et/ou que ce dernier l’utilise de façon alternative, la pratique devient « rejetée » (rouge).  Mais attention, il ne s’agit que de repères globaux, car la situation reste plus complexe. Par exemple, si nous reprenons l’exemple de la sophrologie, quand bien même il détient un diplôme reconnu, le sophrologue n’a pas forcément l’expertise pour accompagner des personnes fragiles ou des situations complexes (ex. soins palliatifs, troubles cognitifs…). Des spécialisations sont alors nécessaires pour permettre une professionnalisation de qualité. Enfin, une « formation reconnue » ne signifie pas pour autant « validation scientifique » tout comme « l’absence de validation » ne signifie pas « dérives ou dangers ».

Aidant attitude : Pourquoi ce type de thérapies suscitent-elles autant de controverses ?

Véronique Suissa : Plusieurs raisons à ces controverses. Avant tout, il y a beaucoup de confusions et de représentations dans le domaine des MCA, chacun y met des pratiques plus ou moins sérieuses ou farfelues. Ensuite, le manque de clarification et de connaissances dans le domaine fait que l’on mélange tout : les pratiques (adaptées ou déviantes), les usages (complémentaires ou alternatifs), les formations (reconnues ou non) ! Enfin, il y a une question plus philosophique concernant la place qu’il faut ou non accorder à ces pratiques dans l’écosystème de santé. Certains estiment que seules les pratiques validées doivent s’intégrer aux établissements de santé tandis que d’autres considèrent que si la formation est reconnue et la pratique non risquée, elle peut s’intégrer en l’absence de preuves tout en encourageant la recherche. Les médecins ne sont pas d’accord entre eux et cela génère des tensions au sein du monde médical. Pourtant, personne n’est choqué de voir des religieux à l’hôpital accompagner des patients en soins palliatifs qui en font la demande. La question de la validation scientifique ne se pose pas, il s’agit de respecter les valeurs et les croyances de chacun. L’enjeu est de délimiter plus précisément le spectre de pratiques pouvant ou non s’intégrer dans les établissements de santé. Il faut aussi considérer les usages et la demande des citoyens. Un Français sur deux les utilise. Dans ce contexte, l’enjeu immédiat est de diffuser de l’information éclairée, favoriser l’accès à des pratiques qui ont une assise (ex. formations reconnues) tout en définissant un cadre qui permette de sécuriser les usages et d’adapter les formations.

Aidant attitude : Quels avantages peuvent retirer les aidants à faire usage de ces thérapies ?

Véronique Suissa : Les médecines complémentaires s’adressent autant aux personnes en bonne santé qu’à un public fragile tel que les personnes âgées, malades ou encore les aidants. Elles sont destinées à contribuer à la prévention et à la qualité de vie, et c’est pour cela que les gens y ont généralement recours. Les aidants, qui ont tendance à s’oublier et dont la qualité de vie est souvent délétère, peuvent y trouver des bienfaits quotidiens. Vivre mieux leur permettra ainsi d’avoir une meilleure relation avec la personne aidée et de mieux l’accompagner. En effet, il faut prendre soin de soi pour prendre soin de l’autre.

Nous avons d’ailleurs lancé une étude avec l’association France Alzheimer pour expérimenter la pratique de la méditation, de l’hypnose et de la sophrologie auprès des aidants. L’objectif est d’observer l’évolution de leur qualité de vie au fil des séances. Ces trois pratiques psycho-corporelles vont être organisées en groupe afin de permettre aux aidants de créer des liens sociaux et de sortir de leur isolement.

Aidant attitude : Et les personnes malades, quels bienfaits peuvent-elles retirer de ce type de thérapies ?

Véronique Suissa : Ces pratiques se déploient beaucoup dans les associations de patients, les centres sanitaires et médico-sociaux comme les Ehpad. Les demandes sont notamment importantes en oncologie et certaines MCA sont déployées dans le cadre des soins de support. Plus de la moitié des patients y ont recours pour soulager les répercussions des traitements, se sentir acteur de sa santé et pour renforcer les liens à travers des activités de groupe. Les pratiques psychocorporelles telles que la sophrologie, la relaxation et l’hypnose sont particulièrement utilisées pour cela.

Aidant attitude : Quelle politique souhaiteriez-vous voir à l’œuvre à la faveur des médecines complémentaires ?

Véronique Suissa : Il existe un vrai besoin de régulation et d’encadrement en matière de formation. Certaines, qui s’effectuent en un week-end ne sont toujours pas interdites… Il faut également renforcer la spécialisation des praticiens. Il importe de sécuriser les usages des citoyens et de stopper la promotion de méthodes déviantes, telle que l’on peut l’observer sur des sites de vulgarisation ou sur des plateformes d’accès à des praticiens qui mêlent pratiques adaptées et méthodes douteuses. Il est urgent de diffuser de l’information éclairée qui va éviter au grand public de basculer vers des sites douteux ou vers des pratiques dangereuses. Les enjeux politiques s’articulent donc autour de trois axes : la promotion de la prévention, la diffusion d’informations et l’encadrement de la formation.

Propos recueillis par Sandrine Youknovski

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