Jean Leonetti, député des Alpes Maritimes, auteur de la Loi qui porte son nom, la “Loi Leonetti”, sur le droit des malades et l’accompagnement de fin de vie, dont on a célébré il y a quelques jours le 10ème anniversaire. Pour mémoire, elle a été promulguée le 22 avril 2005. Et récemment amendée, complétée, par les députés à l’Assemblée Nationale.
Mais ça n’est pas seulement pour ça que je vous en parle ce matin. Je vous en parle aussi, et surtout, pour des raisons personnelles. Parce que je viens de l’expérimenter, cette loi Leonetti…
Mon frère est mort il y a quelques jours. Mon petit frère Manu. Il avait 42 ans. Il était atteint d’un cancer. Un carcinome. C’est un cancer sous-cutané qui s’est métastasé et généralisé. Un sale truc incurable pour lequel il a subi une radiothérapie et une chimiothérapie qui n’ont pas fonctionné. Il y a un mois environ, je suis parti le voir parce que la maladie s’aggravait. Et je suis resté 15 jours à son chevet, nuit et jour, avec son ami “Sébastien” en qui il avait toute confiance. Il était hospitalisé chez lui dans le cadre de ce qu’on appelle “l’hospitalisation à domicile”. Et très vite le personnel médical, infirmière, médecin traitant, une sophrologue qui venait le voir régulièrement, m’ont fait comprendre qu’on était sur un accompagnement de fin de vie à brève échéance. “Combien de temps ? … On ne sait pas … Pas très longtemps …” Son médecin traitant notamment m’a demandé avec des mots choisis : “Si ça s’aggrave, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on lui pose une sonde gastrique ? … Est-ce qu’on le renvoie à l’hôpital ? … J’ai besoin de savoir …”
Et du coup, j’ai relu la Loi Leonetti. Et j’ai décidé d’essayer de lui faire signer des “directives anticipées”, pour que ce soit lui qui choisisse. (De nombreux médecins n’aiment pas ça les “directives anticipées”. Ils n’aiment pas ça parce que ça les contraint. Ca leur enlève un petit peu de leur petit pouvoir de petit médecin assis dans leur petit fauteuil de petit sachant. Je peux vous le dire, je l’ai vécu. Mais c’est une autre histoire…)
“Directives anticipées” donc. Ca n’était pas facile. Je ne voulais pas qu’il angoisse ou qu’il panique. Ca m’a pris plusieurs jours. Et au bout du compte, il a demandé à mettre un certain nombre de choses par écrit, “au cas où”…
Et nous avons écrit. Lui. Moi. Et son ami Sébastien : “Je ne veux pas être hospitalisé. Je veux rester chez moi. Et je souhaite bénéficier, si nécessaire, d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès”. Signé. Daté. Transmis au médecin traitant. Avec un exemplaire dans son tiroir. Modifiable et annulable à tout moment. C’était une semaine avant sa mort…
Les jours qui ont suivi, ses amis sont venus le voir. Il avait beaucoup d’amis mon frère Manu. Tous les soirs, il y avait 15, 20 personnes. Notamment des musiciens, parce que lui aussi était musicien… Quatre jours avant sa mort, un de ses amis accordéoniste a débarqué. Il ne l’avait pas vu depuis trois semaines. Il a été choqué par les dégradations physiques qu’il a pu constatées. Je l’ai mis au parfum. Alors il a sorti son accordéon. Et il a joué. Deux heures environ. Il a mis dans les mains de mon frère une sorte de petit “maraca”. Un petit ballon de rugby avec des grains de riz à l’intérieur, pour battre la mesure. Et mon frère, avec son petit bras tout faible qu’il avait du mal à maitriser, TENAIT la mesure. Et sur son visage déformé par la maladie, il y avait un sourire rayonnant…
Le jour de sa mort, quelques heures avant, un autre de ses amis est arrivé avec un “Ukulélé”. Et avec sa belle voix grave. Il lui a joué une ballade d’Elvis Presley, “Blue Moon”. Même sourire. C’était magnifique…
Voilà. Malgré les larmes, malgré la douleur, c’était magnifique. Moi, mes parents, mon autre frère, ses amis, nous l’avons accompagné jusqu’au bout. Chez lui.
Et jusqu’aux dernières heures de sa vie, nous avons pu lui donner, et il a pu nous donner, quelques instants de pur bonheur…
Et au bout du compte, comme il le souhaitait, il a été endormi. En plus de la morphine contre la douleur, on lui a administré un sédatif contre l’angoisse et la panique. Ca n’enlève pas complètement sa douleur. Ca n’efface pas notre douleur. Mais je peux vous dire que c’était une belle mort. Digne. Jusqu’au bout…
Et ça, c’est grâce à la Loi leonetti. A Monsieur Leonetti. Sa loi est intelligente, altruiste, humaine, sensible, je dirais même “délicate”. Elle ne règle peut-être pas tout. Mais elle nous a offert l’espace de liberté nécessaire pour l’accompagner dignement…
Voilà. Ce billet, un peu particulier ce matin, vous est dédié Monsieur Leonetti. Votre travail de législateur a été bien fait. Il est utile. Et je vous en remercie…
Stéphane Robert (sur France Culture hier matin lundi 4 mai)
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Merci d’avoir posté ce magnifique témoignage sur “l’espace de liberté” possible en fin de vie à condition d’avoir eu la force de l’anticiper. Vraiment, un magnifique témoignage sur une fin de vie “célébrée” dans l’amour des proches et des amis. Et une pensée pour les bénévoles des associations de soins palliatifs qui, auprès de plus isolés, essaient de procurer un peu de chaleur et d’écoute.